Qu’est-ce que le micro-crédit ?
Comment sortir de la spirale infernale qui entraîne les mieux lotis à s’enrichir et les plus humbles à s’appauvrir ? La question ne date pas d’hier : la Révolution française avait surgi de révoltes suscitées par l’inégalité des conditions de vie, qui perdura dans l’Europe du XIXème siècle marqué par les débuts de l’ère industrielle. Après 1945, la diffusion planétaire du modèle économique libéral a accentué les déséquilibres entre pays développés et pays en développement. C’est en 1952, qu’apparaît l’expression « Tiers monde » pour la première fois, dans un article du démographe Alfred Sauvy pour l’hebdomadaire Observateur( devenu Le Nouvel Observateur entre temps ). La globalisation des économies n’a pas fait fléchir le phénomène, loin de là. Sans doute saviez-vous déjà que 2% de la population mondiale détient 80% des richesses. Personne ne remet cette statistique en doute, et les critiques du néo-libéralisme( le système économique selon lequel on laisse les marchés se réguler tous seuls, où l’intervention de l’État doit être réduite au maximum )reviennent régulièrement. Mais si les condamnations sont nombreuses, les propositions de modèles alternatifs sont plus rares…
Rayer la pauvreté de la « mappemonde » : un tel défi semble impossible à relever. C’est pourtant l’objectif que s’est fixé Muhammad Yunus, un professeur d’économie bangladais, en imaginant le principe du micro-crédit.
De quoi s’agit-il ?
Yunus a constaté que la grande majorité des travailleurs pauvres de son pays était incapable de dégager un bénéfice de leur activité. Ils sont généralement empêtrés dans un système pernicieux, dépendant d’usuriers à qui ils versent la quasi-totalité de leur modeste salaire (un usurier est quelqu’un qui prête de l’argent à un taux d’intérêt excessif). Le micro-crédit consiste à accorder aux plus démunis des prêts de toutes petites sommes à des taux d’intérêts accessibles pour leur permettre de se lancer une activité économique. Yunus souligne ainsi les limites de la charité, solution discrétionnaire et ponctuelle qui ne règle rien sur le long terme. Le procédé qu’il a mis sur pied dans les années 70 (suite à la terrible famine qui a ravagé le Bangladesh en 1974, entraînant la mort de plus d’un million de personnes) crée les conditions d’une véritable émancipation des petites gens, et tout particulièrement des femmes. « L’expérience le prouve : le crédit, lorsqu’il passe par les femmes, amène des changements plus rapides que lorsqu’il passe par des hommes », affirme Muhammad Yunus dans son autobiographie intitulée Vers un monde sans pauvreté (éd. JC. Lattès). Aujourd’hui, 94 % des 2,1 millions d’emprunteurs bangladais sont des femmes. Les remboursements s’échelonnent de semaine en semaine. Celle qui souhaite vendre les vêtements de sa fabrication peut emprunter l’argent qui lui manque pour acquérir le matériel nécessaire (machine à coudre, tissus, bobines). Une autre empruntera le peu qui lui faut pour préparer des beignets qu’elle proposera les jours de marché.
L’idée de la Grameen Bank( de « gram » qui signifie village )est de venir à la rencontre des clients. Là où les banques standard exigeraient des garanties et une procédure administrative trop complexe pour des individus analphabètes pour la plupart, la banque de Yunus vise à s’insérer dans le contexte local. Aucun recours en justice n’est prévu contre ceux qui manqueraient au contrat de confiance. Il apparaît que les taux de remboursement sont bien plus élevés à la Grameen Bank que dans les établissements traditionnels( 98 % environ )!
Depuis la création de la banque en 1883, le système du micro-crédit s’est diffusé dans 60 pays répartis sur le globe. Il rencontre de grands succès en Amérique latine, dans plusieurs pays d’Afrique, mais aussi aux Etats-Unis( à Harlem, à New-York )et en Europe : 15 pays, dont la France, font l’expérience de la micro-finance.
En 2006, Muhammad Yunus a reçu le prix Nobel de la Paix. Pourquoi pas plutôt celui de l’économie ? Sans doute parce que le défi qu’il a lancé est trop original.
J. D.